lundi 7 avril 2008

Voyage d'un jour

Il est à peine sept heures, en milieu de semaine, Paris est déjà réveillée. Toi aussi, bien que tu sois en vacances depuis deux semaines. L'année de seconde, c'est une année sympathique, comme tu ne passes aucun examen, tu termines plus tôt que tout le monde. Ce qui ne sera pas vraiment le cas dès l'année prochaine ... Par la fenêtre tu vois déjà des gens pressés, c'est fou comme tu as du mal à les comprendre depuis le début des vacances. D'habitude toi aussi tu marches plutôt vite ... Là, tu traînes encore, mais aujourd'hui tu sors de chez toi, alors il va falloir te bouger un peu.
Sept heures trente, tu mets enfin le nez dehors, après une semaine passée à ne rien faire. Tu as beau habiter dans une ville active, quand tu es en vacances, tu préfères rester chez toi à te reposer. Devant ton ordinateur, par exemple. Enfin, aujourd'hui, c'est différent.

"Elle est par là."
Tu tournes la tête, tu étais resté planté devant la porte de ton immeuble. Aujourd'hui Paris te semble grise, les bâtiments de l'hôpital en face ont perdu de leur couleur, les feuilles des arbres aussi, même la file de voitures garées dans ta rue ne comporte plus que des voitures noires, ou grises. Grisâtre, c'est le mot pour décrire le paysage, et le temps, d'ailleurs : le ciel est gris, les nuages s'accumulent, le vent commence à se lever et toi tu te serres dans ton manteau.
"Tu viens ?"
Oui, oui, tu viens, tu te dépêches, même. C'est qu'il fait pas bien chaud, pour un mois de juin ... Tu t'installes dans la voiture, à l'arrière : tu pourrais monter à l'avant, mais tu gardes les anciennes habitudes, et puis c'est plus confortable. Tu sais que le voyage va être long, tu as apporté une couverture, un vieil oreiller : à peine la voiture a démarré que tu enlèves déjà tes chaussures et que tu t'allonges à moitié sur la banquette.

"France Inter il est huit heures."
La radio a été allumée dès qu'on a démarré la voiture, c'est presque devenu un réflexe. De toute façon c'est pareil dans ta cuisine, elle est toujours allumée. Tu ne l'écoutes jamais, mais tu l'entends tout le temps. La voiture a rapidement quitté ta rue, ce n'est pas une très grande rue, alors forcément ... Tu ne sais pas exactement quelle direction on prend, d'ailleurs, mais tu as confiance. Ce n'est pas comme si tu avais le choix, en fait.
Tu as fini par trouver une position confortable : ce n'est pas la voiture que tu prenais quand tu étais plus petit, alors il a fallu s'adapter. Le dos coincé entre la banquette et la portière, les jambes allongées sur la banquette, enroulé dans ta couverture épaisse, et la tempe droite collée contre la vitre. Tu vois Paris défiler, Paris du matin, Paris grise, les rues que tu connais, ton école primaire ... La place du Colonel Fabien, d'un côté le dixième arrondissement, le côté que tu connais le mieux. De l'autre le dix-neuvième, dont tu entends encore plus parler depuis que tu vas au lycée loin d'ici. Ce matin la place est aussi grise que le reste, même quand tu longes la cité de la Grange-aux-Belles, aux immeubles aux briques habituellement oranges, rouges, brunes. Aujourd'hui, grises.

"On doit passer le chercher vers huit heures. Mais on va prendre de l'essence avant."
On a le temps, dans ce cas. Ton lecteur mp3 est dans ta poche, mais tu n'as pas envie de l'allumer pour le moment. Pas dès le départ. Pas maintenant, alors qu'il y a encore tellement de choses à regarder. Au feu rouge, un piéton qui traverse te souris, tu lui rends un sourire un peu endormi. Les Parisiens ne sont pas tous de mauvaise humeur constamment.

Direction : la cinquième arrondissement. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus près, mais ce n'est pas non plus le bout du monde. Le voyage ne s'arrête pas là, bien entendu : on ne fait que passer. On ne fait que venir chercher quelqu'un. Quelqu'un qui fait ce voyage pour les mêmes raisons que toi, semble-t-il, d'ailleurs. Encore une fois, tu connais les rues dans lesquelles tu passes rapidement : la rue du Faubourg du Temple, qui descend de Belleville à République. Tu la prenais souvent, cette rue, l'année dernière. Puis tu as arrêté. C'est comme ça, certaines choses ne durent pas éternellement.
Un début d'embouteillage, de toute façon tu t'y attendais. Un groupe de jeunes passe, sûrement des élèves de ton ancien collège. Tu ne les reconnais pas particulièrement, eux non plus ne te reconnaissent pas, vous ne vous êtes même sûrement jamais croisés. Tu pourrais les ignorer sagement, tu préfères leur jeter un regard au moins aussi méprisant que le leur. Toi, au moins, tu n'as jamais ressemblé à ça ... Certains Parisiens sont insupportables sans même les connaître. Tout est dans leur attitude.
On traverse le canal, et tu reconnais de moins en moins les rues. Il faut dire qu'on s'éloigne de chez toi, et qu'on traverse des quartiers où tu ne vas jamais. Mais tu observes. C'est drôle tout de même ce gris qui semble s'être étendu à tout Paris.

"Tu attends là ?"
Tu fais oui d'un sourire. Tu n'as pas envie de bouger, maintenant tu es bien installé ... Du moins, c'est ce qu'il croit. A peine s'est-il éloigné que tu en profites pour changer de radio, ça va très vite tu connais la fréquence. Fini France Inter, c'est de la musique maintenant. Très rapidement tu reconnais la voix, puis le groupe, c'est Blur. forcément, il a une voix particulière. Avec un petit sourire tu te rassois à ta place et tu guettes son retour en écoutant la radio d'une oreille distraite. Il arrive, pas tout seul bien sûr.
"Alors, ça faisait longtemps, hein. Comment va ta soeur ?"
"A part qu'elle me déteste quand je lui rappelle que je suis en vacances, ça va."


Et on repart. Toujours à la même place, tu les regardes discuter tranquillement, rire entre eux. Deux vieux amis. C'est bien de pouvoir se dire qu'on peut ne pas perdre de vue ses amis, quand tu sais que toi, tu as déjà perdu la trace de tes amis de primaire, et bientôt de collège. Tu as peut-être leur numéro de téléphone, leur adresse sur un bout de papier, voire dans ton agenda si tu es soigneux. Mais ils ont changé, toi aussi, alors ...
On quitte Paris. On a rapidement changé de radio, sous prétexte qu'il faut savoir s'il y a des embouteillages. Non, il n'y en a pas trop, encore heureux. Seulement au niveau de la porte d'Orléans. Dans moins d'un an, ça te fera rire, d'entendre parler de la porte d'Orléans. Mais pour le moment, tu ne peux pas savoir, tu t'en fiches d'Orléans et de sa porte.

"Tu veux manger quelque chose ?"
On pose un véritable sac de provisions à côté de toi, à l'arrière. On doit pouvoir tenir trois semaines avec ça. Des gâteaux, au chocolat, des bonbons, du coca, on dirait que c'est toi qui as fait les courses. Mais il te connaît bien, depuis le temps. Le temps passe, tu ouvres un paquet, les discussions vont bon train devant toi. Celui qui conduit, c'est ton père. Tu t'entends bien avec lui, il a gardé un esprit d'enfant au fond. A côté de lui, côté passager, celui qu'on est passé chercher. Un ami de ton père, que toi-même tu connais bien, tu l'appellerais bien Tonton si ce n'était pas un surnom aussi ridicule.

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