samedi 12 avril 2008

Ils sont là

Il s'était enfoncé dans son fauteuil, le plus loin possible de la porte, mais de façon à pouvoir la surveiller. Il était aux environs de deux heures du matin, c'était le pire moment de la "journée". Le jour encore ça allait, mais la nuit ... Qui sait ce qui pouvait rôder dans l'ombre ? Et dans ce silence, le moindre craquement était suspect. Un peu plus tôt il avait dû supporter les pas du voisin du dessus qui "souffrait d'insomnie". Le pauvre petit ! "C'est le stress. Si tu savais comme mon travail est angoissant !". Il méprisait profondément son voisin du dessus. Pauvre abruti. Il n'avait aucune idée de ce qu'était le stress, l'angoisse, la peur, le sentiment d'insécurité. Au-dehors la sirène d'une ambulance résonnait. Un peu plus et on se serait cru dans une série américaine ...

Il sursauta violemment lorsque la sonnerie du téléphone retentit, à un tel point qu'il faillit tomber de son fauteuil. Répondre ? Ne pas répondre ? Et ... si c'était eux ? Ça ne l'étonnerait pas ! Appeler en pleine nuit, comme ça, ça leur ressemblait bien. Dans ce cas, mieux valait ne pas décrocher, peut-être le croiraient-ils mort. Ou croiraient-ils à une erreur de numéro. Tout de même, il fallait en avoir le coeur net. En deux secondes il avait parcouru la longueur de la pièce et hésitait, la main au-dessus du téléphone. Finalement il décrocha et le porta fébrilement à son oreille.


"Allô ?" entendit-il seulement.

Il raccrocha brutalement. C'était eux, il en était sûr. Que faire ? Il avait décroché, bon sang, ils savaient qu'il était là ! De toute façon, ils savaient toujours tout. Il revint à son fauteuil, s'assit, pianota nerveusement sur l'accoudoir défoncé et se releva pour décrocher à nouveau le téléphone. Il avait besoin d'aide, quelqu'un de confiance. Mais qui pouvait-il réellement croire ? Sa famille ? Même pas ... Un ami ! Un vrai ami ! Il composa son numéro qu'il connaissait par coeur. D'ailleurs c'était étonnant que les chiffres ne soient pas encore usés, sur le téléphone. L'autre le fit patienter au moins une longue minute avant de décrocher.


"C'est moi" chuchota-t-il. "Si tu n'es pas seul, répond seulement par oui ou par non."

Il avait parlé très vite, il espérait que son ami n'était pas surveillé, lui. Trois pas et il fut à la fenêtre, le téléphone coincé entre son épaule et son oreille.

"Merde t'es encore en plein délire ..."

Il entrouvrit les rideaux pour jeter un coup d'oeil furtif à l'extérieur. Il habitait au onzième étage d'un immeuble dans l'est de Paris, et il lui semblait que sa rue n'était jamais vide. Même à deux heures. L'autre au téléphone l'énervait, à ne jamais le croire ...

"Je délire pas !" répliqua-t-il sèchement.

Là, en bas ! Le type au manteau noir et au chapeau gris, il était forcément un des leurs. Ça se voyait à son air sournois, son air de fouineur, son air d'emmerdeur. Un type qui plaisante pas, c'est clair. Un type qui était là pour lui, merde ! Ils l'avaient retrouvé, il était foutu, définitivement ... Il avait fui, toutes ces années. Il s'était caché. Il avait survécu. Tout ça pour quoi ? Pour qu'ils le retrouvent, au fin fond du treizième ?


"T'es complètement parano, tu le sais ... Va te coucher ..."

Mais pourquoi ne voulait-il pas Comprendre ? C'était pourtant simple ! Si même LUI l'abandonnait ...

"Ils sont là", gémit-il pour toute réponse. "Je les ai vus !"

Il y eut un long silence au bout du fil, pendant lequel il referma les rideaux et se remit à faire les cent pas dans le salon. Il se précipita soudainement dans la cuisine dont la fenêtre donnait sur une petite cour. Ah, une lumière était allumée au deuxième étage ! Ils avaient établi là leur quartier général ! Il ne pensait qu'ils étaient si proches.

"Bon. Bouge pas, j'arrive ..."

Il raccrocha sans ajouter un mot et retourna se recroqueviller dans son fauteuil qui partait en morceaux. Comment allait-il pouvoir tenir jusqu'à ce que son ami arrive ? C'était comme tenir un siège. A la moindre erreur, les autres lui tomberaient dessus. Et s'ils prenaient son ami en otage ? Il aurait dû le prévenir ! Bon, il se débrouillerait. S'ils essayaient d'enfoncer sa porte ? En tout cas cette fois, il ne se ferait pas avoir par une ruse stupide ! Pas de livreur de pizza ou de représentant en aspirateur qui tienne. Ils croyaient vraiment qu'il allait ouvrir la porte pour si peu, hein. Il ne pouvait même pas regarder par le judas car il était certain qu'ils pourraient le voir aussi, dans ce cas. Il ne fallait pas qu'ils le voient, ou il était perdu. Déjà que là ...

Ah, mais il ne pouvait pas rester comme ça ! Il fallait qu'il soit prêt à se défendre. D'abord, de quoi se protéger la tête, le plus important. Un vieux casque de moto ferait l'affaire, il en avait un dans son placard qu'il se dépêcha d'aller chercher et d'enfoncer sur sa tête, aplatissant ses cheveux hirsutes. Maintenant, de quoi contre-attaquer. Il n'avait pas l'intention de fuir toute sa vie. Il se mettrait en embuscade, et quand ils croiraient le trouver ... Hé hé hé ... La vieille planche, là, elle serait parfaite. Hé hé hé ...

Quant à l'ami en question, il s'était habillé rapidement, avait marmonné une excuse à ses enfants comme quoi il devait emmener la voiture chez le garagiste - à deux heures du matin, il n'avait pas l'esprit assez clair pour trouver mieux - et s'était dépêché de descendre les quatre étages qui le séparaient du bitume. Il n'arrivait jamais à laisser l'autre dans sa merde, c'était plus fort que lui. Fermant tant bien que mal son blouson, il marcha à grands pas jusqu'à l'immeuble du malade, encore heureux il n'habitait pas très loin. L'ascenseur ne marchait pas. Avec un soupir, il entama la montée des onze étages, maudissant à chaque marche l'autre cinglé qui devait se ronger les ongles pour une lumière qui clignotait dans l'immeuble d'en face, et qui s'imaginait des histoires d'espionnage et de mafia ... Depuis le temps, il en était venu à se demander pourquoi il n'avait pas les clés, franchement. Il sonna, on lui ouvrit.

C'était drôlement sombre, il ne pensait pas que l'autre taré serait allé jusqu'à éteindre toutes les lumières. A peine eut-il le temps de faire un pas à l'intérieur qu'il se prit un grand coup dans la tempe, sans même comprendre ce qui se passait. Il s'écroula, la tête en sang et les idées dans le même état. Avant qu'il ne perde totalement conscience, il eut un éclair de lucidité. Putain, si c'est comme ça qu'on est remercié quand on veut rendre service ...

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