mercredi 9 avril 2008

A l'heure où blanchit la campagne

"Salut Papa ... Salut Maman."

Petit sourire gêné, ils devaient s'attendre à ce qu'il vienne plus tôt. Il le savait, pourtant, il l'avait noté sur son agenda, il connaissait la date par coeur. C'était la première fois qu'il le ratait, cet anniversaire.

"Je suis tellement désolé, je sais pas comment me faire pardonner. Ah, je vous ai apporté des fleurs !"

Il brandit un bouquet qu'il avait acheté en catastrophe chez le fleuriste avant de venir. Des chrysanthèmes, malgré tout il les trouvait jolies, ces fleurs. Il les garda quelques instants dans ses mains, un peu embarrassé, avant de les poser.

"Si vous saviez comme je suis désolé ... Ça fait longtemps, en plus."

Il se tordait les mains, ils n'avaient rien dit mais lui était sûr de les décevoir. Il ne faisait jamais rien comme il fallait, de toute façon ! Et puis cette fois, c'était vraiment de sa faute. A lui seul. Sa soeur ne pouvait pas le lui rappeler tous les ans ! Qu'il était bête, qu'il était bête.

"C'est ... c'est ... c'est qu'il m'est arrivé beaucoup de choses, entre temps ! Comme ... Co - comme ... RAAAH !"

S'il n'était même plus capable de parler correctement ! Et ses mains, c'était de pire en pire, il avait beau s'en rendre compte, il ne s'arrêtait pas. Impulsif, il se leva d'un bond, fit quelques tours, et se rassit. Calme, calme, il fallait qu'il se calme. Déjà qu'il était en retard, si en plus il n'arrivait pas à parler, ça ne servait à rien qu'il vienne. Mais ce retard, bon sang ! Il l'avait noté sur son agenda !

"Je suis tellement désolé ! ... Bon. Mais c'est vrai, j'étais occupé ... Très occupé ..."

Est-ce qu'il devait tout leur raconter ? Après tout, peut-être qu'ils s'en fichaient totalement.

"Vous savez ... J'ai mon propre appartement maintenant ! C'est Claire qui paie. Je voulais payer, mais elle a refusé !"

Claire, c'était sa soeur. Sa grande soeur, qui s'était toujours occupée de lui, et qui même maintenant ne le lâchait pas, quoi qu'il fasse, quoi qu'il entreprenne. C'était elle qui l'avait aidé à trouver cet appartement, dans le vingtième, et elle encore qui l'avait poussé à s'inscrire à l'école.

"Oh, au fait, je ne vous ai pas dit ! Je suis pris dans mon école ! Vous savez, l'école d'arts."

Un large sourire illuminait maintenant son visage. Son tic nerveux avait disparu progressivement, il s'était calmé. Parler de lui n'était pas facile, mais il le fallait. Depuis qu'il était entré dans son "école d'arts", il essayait de faire des progrès à ce niveau-là. Parce que bon, les autres élèves, ils ne seraient pas forcément très sympathiques ...

"Je sais que ... vous étiez pas très favorables. Je vous tiendrai au courant."

Mais déjà la cloche de l'église à côté sonnait les huit heures et, telle Cendrillon, il devait s'en aller. Vraiment, il n'était pas resté longtemps ... S'il n'avait pas été si en retard, aussi ! Promis, la prochaine fois, il serait à l'heure. Il le noterait dans son agenda, pour ne pas oublier. Il viendrait peut-être avec Claire ? Soudain il lui vint à l'esprit qu'il n'avait parlé que de lui, et que c'était peut-être un peu égoïste.

"D'ailleurs, les autres vont bien, aussi. Tous."

Voilà comment résumer la situation en deux mots. Certes son carrosse n'allait pas se transformer en citrouille s'il ne partait pas avant les huit coups de huit heures, mais il avait un train à prendre. Quelle idée d'être parti habiter dans la capitale, aussi ... Mais bon, pour l'école, c'était mieux. Puis, il était près de Claire, comme ça. Il se leva et fit un dernier sourire.

"Je reviendrai."

Une vingtaine de mètres plus loin, dans une petite maison, le vieux gardien laissa tomber le rideau qu'il soulevait pour regarder par la fenêtre. Vraiment, il était bizarre ce jeune homme. Ce n'était pas la première fois qu'il le voyait, non ...

"C'est bon, il est parti l'autre taré ?" demanda sa femme avec élégance de sa voix éraillée.
"Laisse-le va, ça lui fait plaisir ..."
"Moi il me fait peur. Avec ses yeux. Tu as vu ses yeux ? Il est fou, à tous les coups !"


Le gardien haussa les épaules, de toute façon quand on est gardien d'un cimetière, les types louches, on a l'habitude ...

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